Portrait de Jean-Charles Aubin,

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Portrait de Jean-Charles Aubin

« En 1991, il ferme son atelier du 361 est, rue Liège, entre les rues Saint-Denis et Drolet, à Montréal », dit un article de presse. Mais… je croyais Jean-Charles Aubin donatien depuis toujours ! C’est que son art pourrait et devrait sans doute être rural, comme le souligne Le Foyer rural de novembre 1949. Né de parents qui avaient appris la confection du mocassin et les secrets de la cordonnerie chez les Franciscains, petit-fils par sa mère de M. Théophile Gauthier, de Saint-Cyrille de l’Islet, spécialiste du soulier de bœuf, Jean-Charles Aubin est fort d’une longue et infiniment précieuse tradition d’artisans. Sa vie se divise en deux beaux chapitres. Prenez le temps de savourer l’un et l’autre et, comme moi, vous retrouverez peut-être des odeurs d’enfance. Jacques Cartier a perdu la moitié de ses hommes lors de son séjour forcé à Québec en ce dur hiver 1535-1536. Pour survivre, les premiers arrivants ont appris, à un rythme drôlement accéléré, les techniques de ceux qui y survivaient depuis longtemps, les Amérindiens, qui avaient des « bottes de sauvages » et des « souliers de beu ». Ces articles ont chaussé la majorité des pieds des Canadiens-Français pendant des siècles. De nombreuses mères de famille les fabriquaient en imitant le mocassin des autochtones, en peau d’orignal ou de caribou. Quand les bovins ont été importés d’Europe, les colons ont commencé à faire la botte sauvage (mi-indienne et mi-européenne) et le soulier, relayant le cuir de bœuf (trop dur) en semelle et en talon exclusivement. Jean-Charles Aubin, cordonnier de métier et sensible à cet art, a décidé de compléter sa formation à l’Institut de la chaussure de Montréal, mais s’est vite spécialisé dans la fabrication de sandales sur mesure. Tout de suite remarqué par Félix Leclerc et le Père Legault, il confectionne les bottes et les mocassins pour les Compagnons de Saint-Laurent puis pour le film Un homme et son péché basé sur l’œuvre de Claude-Henri Grigon (1948). Il fera la recherche et la confection de tout ce qui est en cuir pour les productions importantes du théâtre québécois : Le Dialogue des Carmélites (1956), Philoctète (1968), Les Troyennes (1971) et La Fournaise ardente (1972). Il sera du téléroman Les Forges du Saint-Maurice (1972), de Mains habiles, mains agiles (1973) et Le Gutemberg (1979). Ses réalisations, expositions en solo et en groupe, couvrent des pages et des pages, mais je tiens à souligner que les Recluses de Jésus-Marie et les Carmélites de Montréal ont eu recours à plusieurs reprises à ses services comme aviseur technique et fabriquant. Sollicité comme conseiller par des historiens du cuir, il a aussi apporté son aide technique au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. En 1988 commence le deuxième chapitre de sa vie. Il suit une session sur le moulage du cuir avec John Flemming, un artisan de la Nouvelle-Orléans, et se découvre une passion pour la technique du masque. L’origine du masque se perd dans la nuit des temps. Objet de fascination ou d’aversion, cette pièce unique en son genre est un des rares objets d’art que l’on pourrait qualifier de vivant. En effet, porter un vêtement, un bijou, c’est rester soi-même ; « vous glisser derrière ces formes diverses, c’est découvrir votre être intérieur » ou revêtir une toute autre identité. Employé dans bien des occasions dans l’histoire, il fut le plus souvent utilisé lors des carnavals. C’est incroyable que la maîtrise des Maschereri, Vénitiens du XVIIe siècle, qui semblait avoir disparu, soit retrouvée chez notre ami, un des rares à en maîtriser la technique (Artistes en métiers d’art dans Lanaudière, La Fabrique, 2006). Oeuvrant sur des peaux de vachette et de bœuf, il opte encore aujourd’hui pour un type de tannage ancien, le tannage végétal lent qui implique davantage de temps et de coût. Il obtient cependant des cuirs de haute qualité au grain serré et lustré, avec une chair uniforme, qui sont les seuls à avoir la souplesse nécessaire au travail de modelage auquel Jean-Charles s’adonne. Les cuirs sont découpés avec ses outils de cordonnier, selon les formes requises par ses patrons, puis mouillés pour être gainés sur des formes de polystyrène renforcées ou des marottes utilisées dans des cours de coiffure. Il sculpte avec ses mains, fait des plis, ajoute des découpes et fige sa composition par un séchage avec un séchoir à cheveux. Après le moulage de la base du masque et des différents éléments qui l’enrichissent, il va coller puis coudre à la main. Vient ensuite le maquillage avec de la teinture à base d’alcool, la pose des cordons d’attache et, finalement, la doublure. Ses loups et ses masques prennent des allures de déesses, d’oiseaux de feu, de papillons aux noms aussi symboliques que Lascar, Atis et Nébuleuse, choisis avec fierté et détermination par sa complice Jeannine. C’est notre Louise Beaudry qui a découvert Jean-Charles presque au moment où il refermait la porte de la rue Liège. Faut dire « qu’ils sont parents ». Elle l’a guidé vers les jeunes des Quatre-Vents où il a donné un atelier sur le cuir au groupe sous la responsabilité de notre maire Richard Bénard. Ensuite Jean-Charles a donné des ateliers aux jeunes de 5e et 6e année de l’école Notre-Dame-de-Lourdes tout en se perfectionnant grâce à Mme Orita Leprohon, immense artiste alors membre d’Art Boréal. Cette dernière l’a poussé vers des couleurs franches et osées, des formes plus abstraites, des jeux de l’esprit. Il parle de Louise, d’Orita, de Sophie Charpentier aussi avec une telle affection et une telle reconnaissance… Lui qui a donné des ateliers de formation au Centre des Métiers du Cuir, aux collèges Marie-Victorin, Maisonneuve, Saint-Laurent et Bois de Boulogne, qui a de nombreuses participations à des jurys et des comités, aux fêtes du 350e anniversaire de Montréal, aux Médiévales de Québec, sait l’importance de passer le savoir. Bien sûr, il conserve des boîtes et des boîtes de photos et de coupures de journaux dont un article de la Revue Paysanne publié en 1939 au sujet de sa mère, qui est signé par Germaine Guévremont, mais quand on le rencontre aux ateliers d’Art Boréal, sur la rue, au tennis, ailleurs, ce qui nous frappe, c’est son accueil, sa gentillesse, sa généro- sité et sa verve. C’est un vrai Donatien, j’vous dis.

Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse